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Le métier de pilote de ligne

Les pilotes se relaient pour faire voler un avion de ligne, car il s’agit d’amortir du matériel onéreux. Compte tenu de la complexité d’un avion, ils sont en général qualifiés sur un seul modèle qui peut être décliné en plusieurs versions.

Pilote un métier noble, mais contraignant

Les pilotes ont une place à part dans l’industrie du transport aérien. Ces nomades travaillent dans des cockpits exigus, souvent bruyants avec une faible pression atmosphérique et de l’air très sec. Comme les autres navigants de la cabine passagers, ils subissent les turbulences, les radiations solaires à cause de la diminution de la couche atmosphérique et d’ozone.

Ils s’alimentent avec des plateaux repas sur les genoux, sauf sur certains avions comme les Airbus, où il y a une tablette amovible, quand ils en ont le temps et souvent tout en travaillant. Ils subissent continuellement la pression temporelle, souffrent d’insomnies et de perte de références sociales du fait de leurs absences et de leur éloignement répétés.

Il est demandé aux pilotes d’être à même de fournir l’optimum de leurs facultés cognitives et physiques depuis le début de leur mission, lors de la préparation du premier vol, jusqu’à la fin du dernier atterrissage, même après plusieurs heures de vol de nuit. Il est donc illusoire de vouloir les intégrer dans un quelconque processus industriel comme d’autres métiers.

 

Leur temps de travail varie suivant leurs réseaux, court, moyen ou long-courrier, ils n’ont pas de journée à durée fixe, travaillent en horaires décalés et subissent le décalage horaire. Ils n’ont ni week-end ni jours fériés assurés et peuvent avoir des périodes de forte ou de faible activité ou même ne pas voler en hiver pour certaines compagnies (charter). Les amplitudes de travail peuvent compter jusqu’à six, voire huit vols par jour pour les compagnies régionales.

Pourtant, la pratique de ce métier-passion amène à un faible absentéisme : il est plus difficile d’empêcher un pilote d’aller voler que le contraire. Le présentéisme paraît normal lorsque l’on est un responsable, ce qui ici va parfois à l’encontre du bon sens et de la sécurité. Une bonne hygiène de vie s’impose aux navigants pour être toujours en bonnes conditions avant de partir en vol.

 

Le métier exige un certain nombre d’aptitudes physiques et mentales, et il faut être à l’aise avec la technique qui occupe un avion. Mais les pilotes doivent surtout avoir le sens de l’air, de l’équilibre, de la représentation spatiale et de l’orientation, et être capables de piloter naturellement leur avion avec finesse et en toutes circonstances.

C’est-à-dire qu’il leur faut avoir des aptitudes pluridisciplinaires ou d’intelligences spécifiques, comme celles décrites par Howard Gardner : l’intelligence logico-mathématique pour la résolution de problèmes, linguistique pour la maîtrise de l’anglais, intrapersonnelle par l’adhésion et l’utilisation des facteurs humains, visuo-spatiale par le sens de l’orientation, et enfin kinesthésique par l’aptitude manuelle à piloter un avion. Soit cinq des neuf intelligences recensée par Gardner. Il est attendu que les pilotes aient un niveau de compétence acceptable et homogène pour chacune d’entre elles. 

 

État de santé des pilotes

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Chaque année, ces professionnels doivent satisfaire une visite médicale aéronautique de classe 1 (deux pour les plus de 60 ans) ainsi que la visite du travail.

En France, moins de 5 % des pilotes de ligne perdent définitivement leur aptitude médicale et, par conséquent, leur métier, avant l’âge de la retraite, fixé à 65 ans, contre 60 ans avant 2009 en France ; celle-ci est souvent vécue comme une mort prématurée.

Tous les pilotes trichent avec leur état de santé, ils ne disent pas tout aux médecins aéronautiques qui les suivent, et ils se voient en général en meilleure santé qu’ils ne le sont réellement. Compte tenu du capital santé de chacun, ils se battent tout au long de leur carrière pour conserver leur aptitude médicale, sans pour autant êtres à l’abris de maladies ou d’accidents. Ainsi, un arrêt maladie de plus de 21 jours oblige le navigant à repasser une visite médicale de reprise ayant les mêmes critères qu’une visite normale.

Le rythme de vie des navigants finit par dérégler leurs métabolismes. Ainsi, le déplafonnement de la limite d’âge de départ à la retraite à 65 ans ne s’est pas fait sans une augmentation des risques pathologiques. Beaucoup, comme moi, ont abandonné avant : à 63 ans en ce qui me concerne, mon corps ne suivait plus.

En effet, durant ma carrière, j’ai effectué environ 500 heures de vol par an à 40 ans, c’était l’époque des vols courts courriers, même s’il y avait aussi des nuits courtes. Ensuite, à 50 ans, avec les long-courriers, je suis passé à environ 650 heures/an, pour finir à 850 heures/an au passage des 60 ans pour une butée annuelle de 900 heures… J’aurais préféré faire le contraire, mais productivité oblige, on ne choisit pas. Cependant, le temps alterné devrait être plus accessible pour les plus de 60 ans, même s’ils coûtent plus cher à la compagnie qui préfère les voir partir.

Finalement, ce passionnant métier m’aura épuisé.

 

De plus, des compétences professionnelles sont exigées, à savoir trois contrôles techniques par an : deux au simulateur et un en vol. Des cours sont dispensés par ordinateur avec vérification des connaissances dans différents domaines : techniques avion, météo, réglementation, fret, sûreté, sécurité, sauvetage, etc. Et, depuis 2009, un contrôle en anglais est exigé tous les quatre à six ans, sauf pour les bilingues.

Lors des contrôles au simulateur, les pilotes sont notés sur la conduite technique de l’avion, sur la gestion de l’équipage et des situations anormales, mais jamais en conditions réelles pour des raisons évidentes de sécurité. Si un seul de tous ces contrôles n’est pas satisfaisant, la licence de vol est suspendue.

Contrairement à de nombreuses professions, l’administration ne laisse pas la possibilité à un pilote de ligne d’exercer son métier avec un niveau de compétence et de santé insuffisants. Cela signifie donc qu’il ne devrait pas y avoir de mauvais pilotes.

 

Les pilotes se relaient pour faire voler un avion de ligne, car il s’agit d’amortir du matériel onéreux. Compte tenu de la complexité d’un avion, ils sont en général qualifiés sur un seul modèle qui peut être décliné en plusieurs versions. Ainsi, depuis les années 1980, les constructeurs proposent une qualification par familles d’avions, dont les équipements, la présentation et l’utilisation sont similaires.

Ainsi l’Airbus 320, qui se décline en plusieurs versions (A318, A319 et A321), présente des points communs avec les autres modèles (A330, A340, A350 et A380), ce qui permet une qualification courte entre deux avions, par exemple de l’A320 à l’A350. Il en va de même du côté de Boeing où j'ai été biqualifié sur B777 (en pratique) et sur B787 (en théorie), sur lequel je n’ai jamais volé.

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En temps normal, le commandant et le copilote se répartissent le travail de la façon suivante : un des deux est appelé pilote en fonction (PF), il assure la fonction de pilotage ; l’autre est appelé pilote monitoring (PM), il assiste le premier et assure les fonctions de communications avec les contrôleurs aériens et la gestion de l’avion, dont la mécanique pour les pannes. La navigation, le suivi de la météo, etc. sont assurés par les deux.

Dans les grandes compagnies, compte tenu du nombre important de navigants, les pilotes ne se connaissent pas forcément, ce qui ne les empêche pas de travailler ensemble comme s’ils se connaissaient depuis toujours. Le cadre rigoureux de leurs procédures leur permet d’être parfaitement synchronisés.

Les décisions finales appartiennent toujours au commandant de bord – qui est assis sur le siège de gauche dans le poste de pilotage – qu’il soit celui qui pilote ou qui monitore.

Afin de maintenir leur niveau de compétence, les rôles PF/PM sont inversés à chaque étape, mais pas leur place. S’il y a plusieurs copilotes sur long-courrier, ils se répartissent les décollages et les atterrissages, et le plus expérimenté utilise le siège du commandant lorsque celui-ci va se reposer.

Certaines compagnies ont deux équipages complets à bord, et le changement de l’un à l’autre se fait à mi-parcours, mais la responsabilité finale du vol incombe au commandant senior.

C’est pendant la croisière en situation normale que la charge de travail est la plus faible. Le vol s’effectue sous pilote automatique (PA) qui est toujours utilisé. En effet, piloter un avion en ligne droite n’a aucun intérêt et pénalise grandement celui qui est accaparé par une tâche simple mais qui demande des ressources et une concentration permanente. Le PA libère beaucoup de disponibilité, et il est plus précis que l’homme.

En revanche, la charge de travail augmente significativement durant les phases de départ et d’arrivée. Les avions évoluent rapidement : direction, altitude, vitesse et configuration. S’ils se sentent en forme, les pilotes profitent de ces moments-là pour piloter en manuel, afin de maintenir leur niveau de compétence. Finalement, le PA est utilisé à plus de 90 % du temps de vol, sauf pendant quelques minutes, au cours des atterrissages et décollages qui s’effectuent encore en manuel.

Le niveau d’importance des informations, délivrées par les systèmes de surveillance de l’avion, est annoncé par messages visuels et sonores, hiérarchisés et parfois inhibés suivant la phase du vol. L’objectif est de transmettre l’information au moment opportun pour éviter de polluer l’esprit des pilotes. Par exemple, une alarme de panne secondaire de chauffage des soutes de l’avion sera donnée après le décollage, même si elle a eu lieu pendant.

A contrario, fournir davantage d’informations (contrastées), en croisière, que celles dispensées actuellement serait de nature à maintenir les pilotes plus impliqués dans leur travail pendant la phase du vol qui est la moins active. Lorsque le niveau de vigilance diminue, ils sont moins à même de déceler (rapidement) toutes défaillances de systèmes et déviations de certains paramètres du vol. Il existe alors un réel risque qu’ils sortent de la boucle de pilotage. Cependant, il faut considérer que la croisière est aussi un moment privilégié pour que les pilotes se reposent afin qu’ils soient en forme pour l’arrivée.

 

Gérer les risques

 

À l’aide de briefings, les pilotes conviennent d’un projet d’action commun, notamment pour les départs et les arrivées, qui évoluent constamment en fonction du contexte : météo, particularités de l’aéroport, de l’avion, etc., car chaque vol est différent, même s’il s’agit de deux vols d’affilée vers la même destination. Ainsi ils se projettent dans un avenir à plus ou moins court terme pour faire face aux différentes situations prévisibles. Cette anticipation est nécessaire compte tenu de la vitesse des avions. Les pilotes doivent toujours être « devant leur avion », au risque d’être rapidement dépassés par les événements.

Cependant, lors de gestion de pannes ou d’autres situations critiques, l’équipage, en fonction du temps dont il dispose, devra réactualiser son projet d’action. Autrement dit en situation normale, les briefings servent à anticiper le travail dans les détails, alors qu’en situation d’urgence les pilotes parent à l’essentiel en assurant un niveau de sécurité adapté en fonction des menaces et des moyens disponibles : état de l’avion, équipement de l’aéroport, météo, ressources et compétences de l’équipage.

Dans la pratique, s’ils ne sont pas préparés à faire face à tous les évènements possibles et imaginables, ils le sont en revanche, par leurs entraînements au simulateur, pour les scénarios de situations anormales classiques : panne moteur, descente d’urgence, accélération/arrêt sur la piste au moment du décollage, évacuation des passagers, etc.

Si les pilotes sont directement concernés par les enjeux économiques et commerciaux de leur compagnie, leur mission consiste avant tout à veiller au respect des règlements, avec par ordre de priorité la sécurité et la sûreté (Safety First), le confort et la ponctualité, enfin l’économie.

Le carburant, qui est le premier poste de dépense d’une compagnie aérienne, est devenu un véritable leitmotiv, une obsession chez les gestionnaires, dont les pilotes font partie. Néanmoins, en termes de sécurité et de légalité, je ne connais pas de compagnie qui se risquerait à offrir des primes à ses pilotes pour partir avec moins de carburant que le minimum réglementaire. Au final, c’est toujours le commandant qui décide de la quantité à prendre.

Car la prudence comme le doute font partie des qualités premières de leur métier pour pouvoir l’accomplir en toute sécurité – ce qui ne doit pas être perçu comme une faiblesse.

Mermoz, le plus compétent des pilotes de son époque, est mort en mission. Et même si on ne peut pas lui imputer la panne moteur de son dernier vol, c’était une tête brûlée, et le courrier devait passer à tout prix. D’autres, moins talentueux mais plus prudents, sont morts dans leur lit.

Aujourd’hui, les pilotes surdoués constituent une menace pour le fonctionnement très normatif d’un équipage standard. Un niveau élevé de compétences peut procurer un sentiment d’invulnérabilité, de surconfiance et une relâche de l’attention de l’équipage.

 

Enfin, les pilotes sont des chasseurs de menaces : il leur faut les démasquer et les anticiper pour en déceler les risques associés, et une fois identifiés, les neutraliser par ordre d’importance.

Ces gestionnaires de risques doivent être un peu paranoïaques, scrutant la ligne d’horizon pour y débusquer un piège, tout en ayant un œil sur leurs instruments de bord.

 

Si les pilotes devaient disparaître, rien ne garantit que la gestion des risques soit aussi aisée dans une salle de contrôle au sol que sur le « terrain » dans un cockpit.

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