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Évolution du personnel de conduite de l'avion

Le copilote est arrivé après les autres navigants, son rôle consistant à soulager le pilote et à le remplacer lors de ses repos

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Dans le jargon aéronautique, les personnes en charge de la conduite de l’avion sont appelées « personnel navigant technique » (PNT), ils remplissent les fonctions de pilotage, de mécanique, de navigation et de communications.

 

Leur présence à bord a évolué au fil du temps suivant la taille et le réseau de l’avion. Les avions petits et moyens porteurs (un couloir, < 200 passagers) sont habituellement associés aux réseaux court et moyen-courriers, alors que les gros-porteurs (deux couloirs, > 200 passagers) sont plutôt destinés aux long-courriers.

 

Au début, ce qui pouvait s’apparenter à un avion relevait plutôt de l’engin expérimental. En effet, il n’y avait qu’un seul opérateur, le pilote, qui faisait des essais et des démonstrations pour valider ce concept. Ce n’est qu’après 1918 que l’avion se voit confier ses premières missions commerciales, initialement pour le courrier, puis avec des passagers.

 

Ce nouveau moyen de transport a mis une dizaine d’années pour trouver ses marques, notamment grâce à l’acquisition d’appareils plus adaptés que ceux issus des surplus de la Première Guerre mondiale. En France, c’est surtout l’adhésion et la coopération d’acteurs influents et déterminés, hommes politiques (Pierre Cot ministre de l’Air en 1928), industriels (Latécoère, Couzinet), banquiers (Marcel Bouilloux-Lafont) et chefs d’opérations aériennes (Didier Dorat), qui ont fédéré les équipes et ont enthousiasmé le public, support indispensable pour obtenir des subventions.

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Les premiers passagers payaient cher leur billet ; ils étaient hommes d’affaires, vedettes ou personnalités politiques, des « privilégiés auxquels l’aventure apportait la considération » qui, durant la Seconde Guerre mondiale, a été mise en sommeil, sauf aux États-Unis.

 

Au fur et mesure que les avions ont grossi nécessitant plus de puissance (moteurs), de nouveaux navigants sont venus aider le pilote. À commencer par le mécanicien qui veillait aux moteurs particulièrement fragiles. Son rôle a été déterminant lors des grands raids parce qu’il devait, en plein vol, rajouter régulièrement de l’huile aux moteurs. Pour cela il se glissait à travers des trappes et boyaux entre le fuselage et les ailes, quand il ne les escaladait pas. Puis sont arrivés le navigateur, pour assister le pilote à se repérer au cours des traversées de déserts et d’océans, et l’opérateur radiotélégraphiste pour faciliter les communications initialement en morse.

 

À cette époque, le pilotage était entièrement manuel, ce qui accaparait continuellement le pilote, qui avait peu de disponibilité pour faire autre chose, comme vérifier sa position sur la carte et ajuster la route, passer un message radio, etc. La navigation se faisait à vue suivant un itinéraire préparé à l’avance, le principal obstacle était alors – et reste – la météo avec ses masses nuageuses à contourner, et ses couches près du sol dissimulant le relief.

 

Pour ne pas se perdre, il fallait identifier les repères à terre, notés sur un log de navigation, en tenant compte de l’effet du vent par calcul de la dérive et de la vitesse sol (vitesse de l’avion +/- la composante du vent). Ces éléments étaient estimés puis corrigés au fur et à mesure de l’avancement de l’avion. Le pilotage sans visibilité n’était pas encore au point, et le pilote, même s’il restait en condition de vol à vue, s’isolait lorsqu’il perdait le contact avec le sol. Garder le contact avec la terre, c’était garder le contact avec la vie.

 

Ainsi lors de la traversée entre Dakar et Natal – la distance la plus courte entre les continents africain et sud-américain –, les pilotes de l’Aéropostale décollaient souvent de nuit afin d’arriver de jour sur la côte d’en face. Ces vols ne pouvaient se faire que lorsque la lune était présente à plus de sa moitié, c’est-à-dire seulement pendant quinze jours par mois. Celle-ci leur servait de projecteur pour éviter et contourner le redoutable front intertropical ou Pot-au-noir, masse nuageuse qui s’étend habituellement entre le 10e parallèle nord et l’équateur.

 

L’ouverture de la ligne Toulouse – Santiago du Chili était une succession de déserts à franchir, à commencer par le Sahara, entre Casablanca et Dakar, où les Maures guettaient les naufragés du ciel pour les échanger contre rançon, suivi d’un désert de vagues, puis de forêts jusqu’à Buenos Aires, et enfin de sable et de glace pour la traversée de la cordillère des Andes.

 

La dernière étape franchie, la plus redoutée, a été l’Atlantique sur 3 000 km, sans repère à part le rocher Saint-Paul, situé à mi-distance entre Dakar et Natal. Un pilote sans navigateur n’avait aucune chance de parvenir à le survoler. Auparavant le trajet du courrier postal se faisait en bateau Aviso, puis, au début des traversées aériennes, il a été utilisé en dépannage lorsque qu’un hydravion tombait en panne.

 

C’est ainsi que le 12 mai 1931, Mermoz effectua la première traversée de l’Atlantique sud, en monomoteur Latécoère 28, version hydravion, avec 130 kg de poste. Le vol se fit en 19 heures à la moyenne de 160 km/h et sans pilote automatique. Son équipage était composé d’un navigateur (Dabry) et d’un radiotélégraphiste (Gimié). Deux ans plus tard, il fit la même traversée sur l’Arc-en-ciel, trimoteurs de Couzinet en 14 heures à la moyenne de 230 km/h. L’équipage était alors constitué d’un pilote commandant (Mermoz), d’un copilote (Carretier), d’un navigateur (Mailloux), d’un mécanicien (Jousse) et d’un radiotélégraphiste (Manuel) et toujours sans pilote automatique.

 

Le copilote est arrivé après les autres navigants, son rôle consistant à soulager le pilote et à le remplacer lors de ses repos.

 

Ainsi, sur les avions long-courriers, l’effectif du personnel navigant technique a augmenté progressivement, passant à cinq pour satisfaire les besoins d’appareils de plus en plus contraignants, comme le quadrimoteurs Latécoère 301 avec lequel Mermoz et son équipage ont disparu en décembre 1936.

 

Les avions les plus aboutis, mais aussi les plus complexes, ont été ceux de la dernière génération des long-courriers à hélices des années 1950. À ce moment là, l’aviation civile s’est trouvée au bout d’un processus technologique qui a préfiguré le passage à l’avion à réaction.

 

Tous ces opérateurs avaient un rôle important à jouer et disposaient chacun d’un poste de travail dans le cockpit. Par ordre hiérarchique, l’équipage se composait d’un :

  • pilote commandant de bord responsable de la mission ;

  • copilote assistant le commandant dans la fonction de pilotage, tous les deux sont placés juste derrière le pare-brise ;

  • mécanicien responsable des moteurs et des systèmes techniques (carburant, électricité, hydraulique, pressurisation, conditionnement d’air, etc.) avec son propre tableau de bord, disposant d’informations et de commandes, installé contre le fuselage côté droit. Lors du décollage et de l’atterrissage, il venait se placer derrière les deux pilotes, grâce à un siège mobile sur rail, dans le sens de la marche. Au décollage, il ajustait les manettes de poussée et veillait à ne pas dépasser les valeurs limites des moteurs : vitesse de rotation pour ceux à hélices et températures pour ceux à réaction. En cas de panne, c’est lui qui était en charge de trouver, dans un répertoire, la check-list à utiliser pour la traiter.

  • navigateur ayant un bureau pour étaler ses cartes et tracer la route. Pour ses calculs, il disposait d’un dérivomètre pointé vers le sol qui traversait l’avion, d’un périscope ou d’un dôme dans le plafond pour utiliser son sextant et d’un gyroscope, intégré au tableau de bord des pilotes, pour maintenir le cap d’une route sans repères ;

  • enfin un opérateur radio pour les messages en morse et les communications vocales en radio haute fréquence (HF), qui couvrent le monde, mais de mauvaise qualité d’écoute et d’émission. Il faisait des relevés de radio navigation (gisement), en alignant le cadre du goniomètre sur des balises au sol, et il prenait les bulletins météo.

 

Le poste de travail du navigateur et du radio était situé derrière celui des pilotes et du mécanicien, ce qui signifie qu’une partie importante de l’avant de l’avion leur était réservée.

 

Cependant, l’arrivée d’avions modernes, comme le Douglas DC-3 (1936), court et moyen-courriers disposant d’un pilote automatique, a marqué une étape importante puisqu’ils pouvaient être conduits par seulement deux pilotes ; et toutes les commandes allouées aux fonctions de mécanique, de navigation et de radio étaient à portée de leurs mains. C’est ce concept qui demeure actuellement : celui de deux pilotes qui gèrent l’ensemble du vol et les systèmes de l’avion.

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Ainsi de l’après-guerre jusque dans les années 90, les pilotes ont volé sur une grande variété d’avions : du DC-3 au Super Constellation pour les avions à hélices, de la Caravelle au B747 pour ceux à réaction, voire au Concorde pour les pilotes de British Airways et d’Air France. En revanche, ceux qui sont arrivés à l’ère électronique ont connu moins de changements, un seuil d’évolution est aujourd’hui atteint.

 

Réduction des effectifs du personnel navigant technique

 

  • En 1960, l’officier radio disparaît avec l’avènement des réseaux hertziens à très haute fréquence (VHF) de meilleure qualité malgré leur portée réduite, mais suffisamment étendus dans les régions industrialisées. Le goniomètre automatique (ADF) se généralise, et l’utilisation du morse comme moyen de communication prend fin. Ces évolutions techniques sont concomitantes à l’arrivée de l’avion à réaction.

  • À partir de 1970, c’est le navigateur qui disparaît avec les centrales de navigation à inertie couplées aux premiers systèmes de gestion du vol (FMS), qui ont été installés initialement sur les avions long-courriers.

  • Enfin, dans les années 1980, le mécanicien est débarqué, remplacé par une informatique omniprésente qui gère les moteurs et l’ensemble des systèmes de l’avion, dont un système centralisé de gestion de pannes et de check-lists qui assiste les pilotes.

 

Ainsi à part le copilote, ces navigants ont été remplacés en trois décennies au fur et à mesure des progrès techniques, suivant l’ordre inverse de leurs arrivées à bord.

 

Avec l’introduction de la génération de long-courriers sans poste pour le mécanicien, le rôle et le nombre d’opérateurs s’est stabilisé à deux pilotes, et cela n’a pas évolué depuis.

 

Contrairement aux opérateurs radio et navigateur, la suppression du mécanicien, le plus ancien compagnon du pilote, a été l’objet de vifs conflits sociaux, particulièrement en France. Les pilotes se sont alors sentis directement menacés.

 

Aujourd’hui les long-courriers, disposant de moteurs plus économes, augmentant d’autant leur rayon d’action : il n’est plus besoin de faire un stop à Moscou ou à Anchorage pour aller sur la côte Est de l’Asie. Ils effectuent d’une traite un parcours reliant l’Europe à la côte Ouest des États-Unis ou à l’Amérique du Sud, mais avec des temps de vol qui se sont allongés jusqu’à 16 heures pour certaines destinations.

 

Pour faciliter le repos des pilotes au-delà de huit heures de vol – suivant les réglementations des pays et des compagnies –, un copilote de renfort a été ajouté pour que tous puissent se reposer à tour de rôle pendant la croisière.

 

Contrairement à celui des pilotes, l’effectif des hôtesses et stewards – personnel navigant commercial (PNC) – a progressé régulièrement avec l’augmentation de la capacité des avions. En effet, la réglementation impose un minimum d’un PNC par tranche de cinquante passagers.

 

Suivant les époques et les cultures des compagnies, il est possible d’imaginer l’évolution des besoins suivant :

  • 1945 : 1 steward pour 2 pilotes sur DC-3 (les hôtesses sont arrivées plus tard) ;

  • 1955 : 3 hôtesses ou stewards pour 5 personnels de conduite sur Constellation ;

  • 1965 : 5 hôtesses ou stewards pour 4 personnels de conduite sur B707 ;

  • 1975 : 12 hôtesses ou stewards pour 3 personnels de conduite sur B747 ;

  • 2010 : plus de 20 hôtesses ou stewards pour 2 pilotes sur A380.

 

Cette pause prolongée à deux pilotes montre que le basculement vers l’avion sans pilote devra faire face à plusieurs défis importants : technique, humain et sociétal.

 

Étonnamment, avec l’accroissement du transport aérien, il y aura un moment où les pilotes n’auront jamais été aussi nombreux ni aussi potentiellement puissants, alors même que leurs prérogatives n’a cessé de diminuer au fil du temps.

 

La cohabitation entre avions avec et sans pilote pourrait être houleuse, et les moindres difficultés du nouveau concept seront dénigrées par les pilotes. Même si globalement la sécurité n'est pas dégradée, une série d’incidents ou un accident majeur relayés (et amplifiés) par les médias et les réseaux sociaux pourraient remettre en cause l’avion sans pilote, comme cela a été le cas pour le dirigeable et le Concorde.

 

L’histoire n’est pas écrite à l’avance, et la suppression des pilotes à bord des avions de passagers n’est qu’une option parmi tant d’autres.

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