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Accidentologie

L'accident surprend par sa soudaineté et caractérise la rupture d’un ordre établi. Il est naturel ; l’accident est un reflet des risques liés à nos activités humaines. Il n’y a pas de fatalité, de hasard malencontreux ou de « faute à pas de chance », lorsqu’un accident se produit, c’est que le terrain lui a été propice.

1) Qu’est-ce qu’un accident aérien ?

2) Pourquoi y en a-t-il et quelles en sont les causes ?

3) Comment s’en prémunir et gérer les risques ?

4) Comment identifier les précurseurs ?

5) Quelle est la politique aujourd’hui pour les éviter ?

 

1) Qu’est-ce qu’un accident aérien ?

 

D’après le Code de l’aviation civile, « un accident aérien est un évènement lié à l’utilisation d’un aéronef, qui se produit entre le moment où une personne monte à bord avec l’intention d’effectuer un vol […] et celui où elle est mortellement ou grièvement blessée […] ».

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Il surprend par sa soudaineté et caractérise la rupture d’un ordre établi. L’accident est naturel ; il est un reflet des risques liés à nos activités humaines. Il n’y a pas de fatalité, de hasard malencontreux ou de « faute à pas de chance », lorsqu’un accident se produit, c’est que le terrain lui a été propice.

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C’est un constat : l’accident est toujours prévisible et n’a finalement rien d’accidentel lorsqu’il survient.

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Lorsqu’il touche un système ultrasûr, comme le transport aérien, tolérant à l’erreur, c’est-à-dire comportant un nombre significatif de barrières de sécurité devant être franchies en même temps, c’est qu’il y a eu défaillance en profondeur d’un nombre important d’échelons. « Il résulte nécessairement d’un enchaînement de plusieurs causes toutes très peu probables » (BEA) mais qui se conjuguent à un moment précis ; un instant avant ou après, l’accident n’aurait pas eu lieu.

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Et l’on découvre au fur et à mesure que l’enquête avance la chaîne de responsabilités qui impacte jusqu’au plus haut niveau le pays d’immatriculation de l’avion, ainsi que la complaisance, la complicité, pour ne pas dire l’incompétence, de certains acteurs chargés de la sécurité.

Les accidents aériens n’épargnent personne : ni les responsables en charge de la sécurité des compagnies, comme celui de KLM à l’origine de l’accident le plus meurtrier de l’aviation en 1977, ni le chef pilote d’Airbus lors d’un vol d’essai à Toulouse en 1994.

 

2) Pourquoi y a-t-il des accidents et quelles en sont les causes ?

 

« Les accidents ne se produisent pas du fait que les gens jouent et perdent, ils surviennent parce que les gens ne croient tout simplement pas que l’accident qui va se produire soit possible » (James Reason). « La catastrophe, n’entrant pas dans le champ du possible avant qu’elle se réalise, ne peut être anticipée. […] La catastrophe a ceci de terrible que non seulement on ne croit pas qu’elle va se produire, alors même qu’on a toutes les raisons de savoir qu’elle va se produire, mais qu’une fois qu’elle s’est produite elle apparaît comme relevant de l’ordre normal des choses. Sa réalité même la rend banale » (Dupuy, 2002).

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Tel un cancer que l’on découvre trop tard, que l’on néglige ou rejette, l’accident est pourtant prévisible, il s’annonce toujours avant de faire irruption : « Attention, j’arrive ! » Encore faut-il pouvoir et vouloir l’entendre, c’est la raison pour laquelle il arrive là où on ne l’attend pas.

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Si un reportage vidéo était réalisé sur l’enquête d’un accident, au fur et à mesure de l’investigation et sans connaissance préalable du dossier, l’histoire se révélerait aux yeux des observateurs qui, avant sa conclusion, seraient convaincus de l’issue. L’enchaînement des erreurs, manquements et négligences, ne pouvait conduire qu’à l’accident. L’histoire deviendrait alors claire, évidente, comme ne pouvant échapper à son destin.

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On oppose souvent défaillance mécanique et erreur humaine. Mais la défaillance mécanique n’existe pas, c’est un abus de langage. La mécanique n’est que l’expression de la maîtrise de la technicité par l’homme dans sa conception, son entretien et son utilisation. Dans tous les cas, c’est bien de défaillance humaine dont il s’agit. Ainsi, la mauvaise utilisation d’un moteur par le pilote peut avoir un impact à court terme, un mauvais entretien par le mécanicien à moyen terme et un défaut de conception par l’ingénieur à plus long terme.

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Il y a souvent un déni des risques encourus de la part des dirigeants des compagnies aériennes. Ils sont davantage attachés aux questions financières, plus précisément à celle de la rentabilité. Ainsi la sécurité est parfois considérée comme une contrainte économique comme une autre, les services « Sécurité » et « Qualité » sont regroupés sous une même direction… Très impliqués dans leur travail, les dirigeants, « la tête dans le guidon », ne voient pas arriver l’accident.

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Un sondage réalisé par la NASA après l’accident de la navette Challenger, en 1986, a montré que la représentation de l’échec était bien différente d’un acteur à l’autre. En effet, « les probabilités d’échec les plus élevées (1 pour 100) venaient des ingénieurs de terrain, et les probabilités les plus basses (jusqu’à 1 pour 100 000) du management. Or la croyance en un risque d’échec de 1 pour 100 000 est totalement erronée, pour ne pas dire délirante… » (Morel, 2002).

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Heureusement, certains dirigeants ont une sensibilité plus prononcée pour la sécurité, tel Stelios Haji-Ioannou, le fondateur d’EasyJet, qui s’exprimait ainsi : « Si vous pensez que la formation pour la sécurité est trop cher, eh bien essayez d’avoir un accident ! »

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« Les accidents fournissent des preuves éclatantes et irréfutables de la gravité des dangers. Trop souvent, il faut qu’une organisation ait fait l’expérience de la nature catastrophique et extrêmement coûteuse des accidents pour qu’elle se décide à allouer des ressources en vue de réduire ou d’éliminer les conditions dangereuses jusqu’à un niveau qu’elle n’aurait pas atteint en d’autres circonstances » (OACI).

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L’accident est évidemment le pire scénario qu’une compagnie aérienne ait à redouter. Tuer ses clients, c’est hors la loi et c’est économiquement suicidaire ! Ainsi la meilleure stratégie de communication ne pourra jamais prévaloir sur la maîtrise des risques. Cette hypercommunication tellement à la mode, censée tout expliquer mais qui, au final, cherche à faire accepter l’inacceptable.

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Après l’accident de la navette Challenger, qui avait profondément marqué les Américains, notamment à cause de la mort d’une jeune institutrice qui devait donner des cours depuis l’espace, la NASA avait lancé une campagne de publicité destinée à rassurer le public – son principal sponsor à travers le budget alloué par le Congrès –, expliquant que l’accident n’était pas une option : « Failure is not an option », disait le slogan.

 

3) Comment se prémunir et gérer les risques d’accidents ?

 

Un système ultra-sûr comme le transport aérien est très normé. Il s’ensuit une routine dans les procédures et une perte de l’esprit critique, qui ont pour corollaire une confiance excessive dans les matériels et les instances en charge de la sécurité. Pourtant, pour un pilote professionnel, le postulat d’un transport « définitivement » sûr n’est pas recevable, car le monde évolue constamment.

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Écouter c’est se donner les moyens pour comprendre et appréhender l’accident. Les incidents, ces précurseurs d’accident dans le jargon aéronautique, doivent être analysés et traités comme les accidents qu’ils peuvent devenir. Un travail en profondeur doit être entrepris et renouvelé régulièrement, car un investissement important au départ ne garantit pas l’efficacité dans le temps. Les responsables en charge de la sécurité perdent parfois l’écoute des signaux faibles de l’accident qui se profile.

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Ainsi, le progrès se nourrit d’accidents pour finalement mieux s’en prémunir. Tel un vaccin, nous avons besoin d’une petite dose d’accidents et, de préférence, d’incidents, pour éviter la catastrophe. Cette démarche consiste à identifier ses précurseurs à travers l’ensemble des incidents survenus au sein d’une compagnie aérienne et au niveau mondial. Il faut commencer par devenir expert en « incidentologie ». Pour fixer un ordre de grandeur, l’OACI indique que pour obtenir un accident spécifique, fatal, 600 incidents de même nature sont nécessaires. Une analyse plus fine laissera apparaître 30 cas d’accidents et 10 sérieux.

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Elle recommande également la mise en place d’un processus de gestion des risques (SMS), comme une lecture permanente et attentive de la masse de données des incidents et de leurs précurseurs, en traitant la partie non visible de l’iceberg autant que celle visible, qui s’étendent à l’ensemble de l’activité aérienne (vol, entretien, assistance en vol et au sol, formation, etc.).

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Lors d’enquêtes techniques poussées, les enquêteurs montrent comment ce jour-là et dans ces circonstances-là, l’accident est arrivé. Dans un premier temps, ils vont récolter les indices pour reconstituer le puzzle et expliquer le déroulement de l’évènement. Puis, ils vont faire un long travail d’investigation et d’analyse avec l’aide de la compagnie, du constructeur, des équipementiers, des contrôleurs aériens, etc., pour comprendre « l’alchimie » qui a permis l’enchaînement des faits ayant conduit à un tel résultat. Pour conclure, les enquêteurs démonteront les causes de l’accident et proposeront des recommandations pour s’en prémunir. Il est important de noter que leur rôle n’est pas de déterminer les responsabilités pénales.

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Pour prévenir les accidents, des audits externes doivent êtres diligentés de façon régulière, par exemple tous les deux à trois ans. En Europe, l’EASA pourrait être en charge de cette mission avec des recommandations et la vérification de leur bonne application. Malheureusement aujourd’hui le budget alloué à l’EASA est sans commune mesure avec celui de la FAA américaine. Cependant, en Europe les pays ont toujours leur agence (DGAC en France, CAA Angleterre, LBA Allemagne, etc.), qui dispose de leur propre budget. Un constat s’impose : plus les administrations en charge de la sécurité aérienne sont puissantes, c’est-à-dire autonomes et avec un budget conséquent, plus le niveau de sécurité est élevé.

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Pour les grandes compagnies européennes, chaque vol est analysé grâce à des enregistreurs de vols (pas ceux des boîtes noires) simples et rapides à utiliser, et relevés en moyenne toutes les semaines. Si les paramètres du vol : altitude, vitesse, assiette, inclinaison, etc., s’écartent d’une certaine tolérance, le vol est analysé plus finement par un opérateur. Si celui-ci ne trouve pas d’explication rationnelle à l’écart, ou aux écarts, il demande des éclaircissements par écrit aux pilotes.

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Le retour d’expérience (REX) prend ici toute sa signification, sous réserve que l’anonymat soit respecté, c’est-à-dire si les « fautifs » ne sont pas recherchés. Cependant, dans certains pays comme l’Angleterre, en cas d’écarts significatifs et afin de mieux comprendre l’incident, l’anonymat peut être levé pour un entretien avec les intéressés. « Ainsi le REX, qui relève de la démarche Facteurs humains, a permis de rompre avec le silence ou l’omerta concernant certaines situations anormales. Leur exploitation a notamment permis de comprendre ce qui se passait réellement dans les cockpits avec des opérateurs qui devenaient pleinement acteurs de la prévention. Les services ont pu prendre connaissance d’erreurs inconnues, révélées par des équipages qui n’imaginaient pas un jour commettre de telles erreurs. »

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L’anonymat est la condition nécessaire pour un retour d’expérience efficace, c’est-à-dire favorisant un nombre de retours suffisants de façon spontanée pour avoir la visibilité nécessaire afin d’apporter rapidement des actions correctives. Ainsi, un nombre élevé de retours d’expérience ne signifie pas qu’il y ait un nombre élevé d’écarts, mais la bonne l’adhésion au principe de transparence, gage de confiance. Aux USA, la FAA prévoit la levée de certaines sanctions disciplinaires si le retour d’expérience est spontané (< 10 jours), ce qui en fait un programme particulièrement efficace.

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En effet « la théorie de la sanction nécessaire en matière de sécurité », ou du « si l’on veut, on peut », suppose un monde sous contrôle de la volonté (prévisible et sûr). « Les accidents sont donc des monstruosités qui n’arrivent pas par hasard. Ils ont des causes qui sont des fautes (qu’il faut sanctionner) puisqu’il suffit que les responsables à tous niveaux aient la volonté de les éviter. Les postulats de la sanction vertueuse sont tout simplement faux » (Pariés).

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Dans la pratique de tous les jours, l’art du management d’un système à risque consiste à trouver le réglage optimum entre prise de risque minimale et activité lucrative. Sans tomber dans l’écueil du « principe de précaution » qui consisterait à ne plus faire voler d’avion, Il convient toutefois de faire pencher la balance du côté de la sécurité.

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Plus un système, ou une société, est sous contrôle, plus le risque d’accident majeur est imprévisible et dévastateur. Les prévisionnistes, dont la caractéristique est de se tromper (météo, élections, bourse, risques, etc.), élaborent des prévisions en fonction d’expériences passées. Ils peuvent anticiper des tendances mais pas en inventer.

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C’est avec détermination qu’il faut s’emparer des questions de sécurité, dont l’accès est certes difficile mais qui ne doivent pas être le privilège de certains. En effet la sécurité est l’affaire de tous, sans discrimination ni tabou : « l’oser dire » doit être la norme – et la dénonciation exceptionnelle devient nécessaire en cas de manquement grave ou de mise en danger – sans crainte de perdre sa place ou de se faire « casser la gueule ».

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Il est indispensable, notamment en France, de favoriser la séparation des instances industrielles, administratives et politiques. L’OACI le recommande, comme cela se pratique dans les pays anglo-saxons où le niveau de sécurité est plus élevé.

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Le NTSB américain peut ainsi critiquer Boeing, et la FAA a été en mesure d’arrêter la flotte mondiale du best-seller B787 pendant trois mois, en 2013, après une série d’incidents (emballement thermique de batteries cadmium nickel). Ce scénario n’est pas imaginable en France et en Europe vis-à-vis d’Airbus.

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Il en va de même pour la compagnie australienne Quantas dont le directeur général, Alan Joyce, a déclaré, après l’incident majeur sur l’un de ses A380 en 2010 : « Nous sommes la seule compagnie à avoir cloué au sol nos A380. Nous prenons la sécurité incroyablement au sérieux et, par conséquent, nous décidons de maintenir au sol ces avions, et nous les laisserons aussi longtemps qu’il le faudra pour que nous soyons certains que les faire voler est sûr. » Qantas n’a en effet enregistré aucun accident mortel en 90 ans d’existence...

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« Une enquête sur un accident devrait donc cibler une maîtrise efficace des risques. Si l’enquête est dirigée non plus sur “la chasse aux coupables” mais sur une réelle atténuation des risques, elle encouragera la coopération entre les personnes concernées par l’accident, ce qui facilitera la découverte des causes sous-jacentes. L’intérêt à court terme de trouver un coupable est préjudiciable à l’objectif à long terme de prévenir de futurs accidents » (OACI).

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Contrairement à ce qui a pu se faire, vouloir occulter les problèmes en jetant au bûcher les « présumés coupables » pour protéger un système défaillant est propre aux régimes totalitaires ou aux religions avec ces rites sacrificatoires qui désangoissaient une communauté en mal de réponses.

La démarche sécuritaire doit être transparente, claire et audible. Elle ne doit pas être détournée de son but initial par le lobbying de l’industrie avec ses sacro-saints bilans comptables ni céder aux sirènes du politique par le chantage aux emplois. En effet l’influence (et le poids) des passagers-consommateurs-électeurs ne fait qu’augmenter, et ceux-ci ont pour exigence première leur sécurité. Aujourd’hui, ils sont tout à fait capables de se faire une opinion objective sur le niveau de sécurité qui leur est proposé.

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Le culte du secret n’a pas sa place lorsqu’il s’agit de sécurité. Au contraire, jouer la carte de la transparence vis-à-vis du public permettrait de gagner la confiance des passagers et des médias. En effet, une compagnie qui communiquerait bien sur ses incidents et accidents, qui en expliquerait la nature et les causes ainsi que les mesures qu’elle prend pour y remédier, sera considérée comme une compagnie sûre.

 

4) Comment identifier les précurseurs d’accidents ?

 

Comment rendre les accidents acceptables sans qu’ils ne remettent en cause nos choix de société, comme cela a été le cas du dirigeable Hindenburg, en 1937, et du supersonique Concorde en 2000 ? La perte de mémoire relative aux expériences des compagnies – et du transport aérien dans son ensemble – peut être la cause d’une régression de la sécurité. Pour cela elles doivent s’organiser.

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L’accident s’invite particulièrement lorsque nous créons et mettons en œuvre de nouvelles technologies, comme les interfaces homme machine, c’est le prix à payer ! « On ne fait pas d’omelette sans casser d’œufs. » ou comme le souligne Hannah Arendt : « Le progrès et la catastrophe sont l’envers et le revers d’une même médaille. »

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C’est un réel défi : comment innover sans prendre de risques importants ? La démarche peut consister à progresser par étapes mesurées, soigneusement préparées et testées par des pilotes d’essais. Pour réussir la transition, le « progrès » doit être compris et admis, notamment par les utilisateurs avec en amont un important travail de communication.

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Comment imaginer les futurs accidents ? Une partie prospective doit s’appuyer sur les tendances observées. Investiguer d’autres domaines lors de l’introduction de nouveaux avions, matériels et procédures, s’intéresser aux cas inusuels, mais aussi zoomer régulièrement sur des zones connues, ou réputées à faible risque, et ne jamais rien sous-estimer.

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Le philosophe Paul Virilio parle de prospection de l’accident : « Peut-être pourrions-nous, à l’inverse, inventer directement “l’accident” afin de déterminer, par la suite, la nature de la fameuse “substance” du produit ou de l’appareil implicitement découvert, évitant ainsi le développement de certaines catastrophes prétendument accidentelles ? »

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Des bureaux d’études pourraient ainsi se consacrer à la recherche de nouvelles possibilités d’accidents par une démarche causale de pannes et d’incidents, mais aussi en laissant libre cours à l’imagination qui donnait des types ou des formes d’accidents incroyables. Imaginons que le FBI ait eu un département « anti-terrorisme » avant 2001. Un enquêteur aurait pu émettre la possibilité – même pas la probabilité – d’attaques suicide à New York par des avions de ligne détournés. Mais la difficulté ensuite aurait été de porter crédit à un tel scénario.

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Certains rétorqueront que l’on ne peut pas tout prévoir, que la priorité doit être orientée vers les risques connus et récurrents. Cependant, une fois ces domaines explorés, c’est bien vers l’improbable qu’il faudrait investiguer. Les instances en charge de la sécurité ne peuvent attendre pour réagir le prochain accident qui, par sa nouveauté, défrayera la chronique.

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Pour ma part, je considère qu’avec l’homme tout ce qui est susceptible d’arriver… arrivera ! (Loi de Murphy). La défaillance est naturelle chez nous, elle est même programmée, elle est inscrite dans le temps et nos gènes. Impossible dès lors d’ériger en dogme certaines erreurs humaines comme étant impossibles. Tout peut arriver, donc aucune hypothèse d’accident due à l’activité humaine, même la plus irréaliste ou farfelue, ne peut être écartée. Et pourquoi ne pas créer une « université du désastre » qui serait un lieu interdisciplinaire et transcivilisationnel. Son rôle ne serait pas de nier le progrès mais de le désarmer de ses catastrophes, ou tout au moins poser la question de ce désarmement » (Virilio).

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Un audit sur la sécurité des opérations en vol, (LOSA) a ici toute sa place. Des enquêteurs pilotes – agréés par la direction et les syndicats de la compagnie – sont chargés d’observer les pilotes lors de vols de routine d’après d’une grille préétablie. Cette démarche basée sur le volontariat permet de recueillir de nombreuses informations qui, en temps normal, passeraient totalement inaperçues – contrairement aux contrôles en vol qui, par leur nature, ne donnent qu’une vision déformée de la vie de tous les jours. Parmi celles-ci, des déviations ou/et violations réputées sans importance, ou qui sont tellement ancrées dans les (mauvaises) habitudes, que les opérateurs n’y prêtent même plus attention. D’ailleurs certaines d’entre elles montrent que les procédures ou les règles ne sont pas toujours adaptées ou bien comprises, alors, dans tous les cas, des améliorations sont nécessaires.

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Les performances de sécurité des compagnies sont comparées entre elles pour chaque thème : approche non stabilisée, atterrissage long / court, passage sous vitesse d’évolution, etc., afin que chacune puisse prendre des mesures pour s’améliorer.

 

Le LOSA diminue ainsi les expositions au risque d’accidents, sources d’économies à long terme mais aussi à court terme, puisque les assurances appliquent des baisses de cotisations importantes dès qu’une compagnie fait des efforts pour améliorer sa sécurité.

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Ainsi, les compagnies membres de l’International Air Transport Association (IATA) utilisant des avions de lignes à réaction ont un taux d’accident de 0,28 perte de cellule par million de vol, alors que la moyenne mondiale est de 0,66. Une des raisons de ce résultat est que l’IATA exige la certification IOSA (IATA Operational Safety Audit) tous les deux ans sous peine d’exclusion de l’association.

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Au niveau mondial, depuis 1990, 2017 a été l’année la plus sûre. Il y a eu 6 accidents mortels et 19 décès parmi les passagers et les membres d’équipage. Chez les compagnies aériennes membres de l’IATA, il n’y a eu ni accident mortel ni perte de coque en 2017, tant pour les avions aÌ€ réaction que pour les turbopropulseurs.

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Les années les moins sûres ont été 1995 pour le nombre d’accidents (58) et 1996 pour le nombre de tués (1 844). Le nombre de passagers transportés a été de 1,3 milliard en 1995 et 3,1 milliards en 2013.

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Ce qui est remarquable à travers ces chiffres, c’est la baisse constante du nombre d’accidents et de passagers tués, alors que le trafic passager n’a fait qu’augmenter.

 

5) Quelle est la politique aujourd’hui pour les éviter ?

 

L’expression « état de santé de la sécurité » indique le degré de résistance d’une organisation à des circonstances inattendues ou à des actes imprévus d’individus. Elle reflète les mesures systémiques mises en œuvre pour se protéger et traduit sa capacité à s’adapter.

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Les compagnies gèrent la sécurité sous trois formes différentes :

  • réactive : après qu’un accident ou qu’un incident grave (visible) s’est produit, la compagnie applique les recommandations – du Bureau d’enquête et d’analyses (BEA) pour la France par exemple –, puis « attend » le prochain accident ou incident grave ;

  • proactive : elle met en place plusieurs outils : un service d’enregistrement de tous ses vols qui analyse les écarts, un retour d’expériences efficace et des audits réguliers. Le traitement de toutes ces données permet d’identifier et de hiérarchiser les menaces pour la sécurité, afin de mettre en place des procédures correctives avant qu’un nouvel accident se produise ;

  • prédictive : par une anticipation des menaces à venir, en fonction des évolutions techniques, environnementales et législatives, ou d’une nouvelle activité, par exemple, se lancer dans le long-courrier. Toute menace potentiellement dangereuse doit être traitée comme si elle existait (Clausewitz).

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Une enquête du BEA a montré que la faiblesse des structures réglementaires et des moyens de surveillance de certains pays ne permettait pas de garantir un niveau satisfaisant de sécurité. Celle-ci résulte de plusieurs facteurs, notamment la priorité fréquemment accordée aux considérations économiques et la conviction que la sécurité repose essentiellement sur les décisions en temps réel des acteurs de première ligne, comme les commandants de bord. Cette situation est de nature à remettre en cause l’efficacité de l’OACI, fondée sur la confiance et la reconnaissance de chaque État, avec le risque d’apparition d’une sécurité mondiale à plusieurs vitesses.

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Plus un système technique est important, plus il nécessite de moyens pour fonctionner et se protéger. Ainsi, l’effet de taille profite aux grandes compagnies qui proportionnellement ont moins d’accidents que les petites, même si ceux-ci ont plus de chance d’être conséquents. En revanche les petites compagnies, qui bénéficient des mêmes programmes de prévention, ont plus de facilité pour les mettre en place grâce à leurs structures plus légères. Ici l’effet de taille joue en leur faveur, car la communication et les prises de décisions sont plus faciles et rapides.

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Le professeur Patrick Hudson précise que la sécurité aérienne n’est jamais un objectif facile à atteindre pour des organismes complexes. En reconnaissant l’importance de la mise en place d’une culture de la sécurité en leur sein, Hudson avance l’idée que seule une révolution dans la manière de penser des gestionnaires garantirait la sécurité. Pourtant les petites compagnies hésitent à mettre en œuvre un système de gestion de la sécurité (SGS) parce qu’elles croient que l’investissement nécessaire serait un fardeau. Hudson souligne que le plus gros obstacle est la croyance que c’est trop difficile, et, à long terme, il est bien plus dangereux de ne rien faire.

 

Pour une compagnie aérienne, une réponse formelle consiste à nommer un directeur de la sécurité (DS), un pilote, de préférence, dont la sécurité est la spécialité et disposant de moyens suffisamment puissants pour assurer sa mission. Ce haut responsable (directeur général) doit pouvoir se mettre en relation directe avec le président de la compagnie et avoir une autorité sur l’ensemble des services qui, de près ou de loin, impactent la sécurité des vols. Il doit être indépendant de tous facteurs économiques de nature à compromettre sa démarche.

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